Repas peu commun

Rûne avait très faim.Comme il l'avait promis a Ondin, il resterait sage pendant leurs séjours en Atlantide, et il décida donc d'aller manger, comme n'impote qui aurait pu le faire.
Hélas, Rûne ne possédait pas d'argent, et se demandait comment ca pourrait se passer...

Il entra donc dans l'auberge et s'assit discrètement a une table.

En cet après-midi bien calme, Falbala époussetait distraitement le comptoir en songeant à ses multiples projets de vacances. En effet, ces temps-ci, une envie irrésistible de voyager avait pénétré son esprit. Elle rêvait déjà de paysages verdoyants à perte de vue et de petites collines fleuries bordant un ciel d’un bleu pur, de douces saveurs et de nouvelles odeurs stimulant son odorat, de fruits exotiques qui enrichirait son menu, d’étoffes soyeuses pour refaire ses fauteuils, peut-être bien du velours… Sa rêverie fut soudainement interrompue par l’arrivée d’un client à l’apparence de lézard dans le Café. La propriétaire retomba donc vite les deux pieds sur terre.

Elle déposa son chiffon et se rendit à la table où le client incongru avait pris place. Falbala n’était pas tombé de la dernière pluie, ainsi elle restait peu étonnée qu’un dragon débarque dans son Café. Après tout, elle vivait bien à Atlantis! Elle s’avança donc vers son client et lui dit : « Bonjour Monsieur! Belle journée n’est-ce pas? Alors que désirez-vous manger aujourd’hui? Il y a tout ce que vous voulez! Pommes de terre, bœuf, porc, volaille, fruits de mer..! Ou même des desserts! Tarte aux pacanes, au sucre, aux fruits rouges, gâteau au chocolat, à la meringue, au citron... en plus de biens d'autres recettes secrètes! Mais peut-être préféreriez-vous simplement une boisson? » Puis elle éclata de rire, se disant qu'elle ferait mieux d'écouter son client plutôt que de le submerger de suggestions!

Toute cette débauche de nourriture n'enchantait pas vraiment Rûne.

-Je voudrais quelque chose de plus simple.De la viande humaine vous avez?Cru marinée ou rôtie aux cendres si possible, souffla-t-il en prononçant ses S de façon reptilienne.

Il espérait trouver sa viande favorite dans ce café, de cette façon, il pourrait se rassasier tranquillement de façon régulière et s'occuper de lecture et d'écriture...

-Voire même chasser pour le loisir!

En entendant son client prononcé ces paroles, Falbala ne put retenir un mouvement de recul. De la viande humaine!? Pourquoi pas son bras tant qu’à y être! Non mais pour qui ce prenait ce bonhomme? Il en était quasiment à lui proposer de la manger comme dîner! Décidément, cette cité contenait de tout! Falbala fit de son mieux pour répondre poliment, tout en insérant un ton rassurant qui n’était sans rappelé quelques accents ironiques: « Je suis vraiment désolé Monsieur, mais nous ne servons malheureusement pas de viande humaine ici! D’ailleurs, nous nous réservons bien de servir toute viande qu’un être de la même espèce souhaiterait venir consommer ici. Voyez-vous, cela pourrait choquer certains clients si vous voulez mon avis.

Mais bon, voyons ce que je pourrais vous offrir en remplacement. N’ayant moi-même jamais eu la chance de goûter à de la chair humaine, je suis mal disposée pour vous offrir une viande ressemblante! Voyons un peu... je devrais bien pouvoir vous dénicher une viande de caribou ou de bison quelque part... dans le genre gros animaux poilus vous voyez ce que je veux dire? Une viande corsée avec beaucoup de goût, succulente à mon humble avis! Enfin, c’est vous qui voyez! »

C’était bien la première fois que Falbala devait faire face à une situation de ce genre, après tout on dit bien qu'il faut de tout pour faire un monde!

Le reptila fit une mimique a l'écoute des propositions de la serveuse.En effet, la caribou était un animal des pays glacés, et l'idée le rebutait.Quand au bison, il en avait gouté autrefois, et ce n'était pas a son gout.

-Ou bien du rat gondin?Cru bien entendu, mais vidé.

Il chassait ces petits animaux d'eau quand il était jeune...
Il s'inquiétait cependant quand au fait de devoir payer l'addition.

Le client désirait donc du rat gondin. Cru de surcroît. « Le client est roi, pensa dans un soupir intérieur Falbala. » Il voulait du rat gondin. Eh bien elle lui en trouverait! Elle connaissait bien ces petits animaux plutôt parasitaires et rebutants. Ou pourrait-elle bien en dénicher un si vite? Elle se résolut d’aller voir dans sa réserve s’il n’en traînerait pas un quelque part. Elle s’excusa auprès de son client et descendit le petit escalier branlant vers sa réserve si précieuse.

En y entrant, elle ressentit un agréable chatouillement à ses narines caractéristique de l’endroit. Les épices fortes et concentrées qui étaient entreposées ici avaient en effet imprégnées la pièce. Ainsi, une forte odeur de cari mêlée à un soupçon azafrán régnait. Falbala parcourut les petites allées scrutant du regard chaque morceau de viandes qui pourrait ressembler à du rat gondin. Elle vit toutes sortes de choses… orignal, hérisson, hibou, carcajou, crocodile… etc. mais tous étaient fumés et pas la moindre trace de rat gondin.

Il ne restait guère d’espoir, mais Falbala se résolut quand même à aller voir dans la pièce où la viande fraîche était entreposée. Elle détestait cet endroit car il y faisait trop froid et que c’était sombre. Une espèce d’ambiance morbide lui donnait froid dans le dos! Elle avança lentement vers la grosse porte qui était située tout au fond de la réserve et dut pousser fort pour qu’elle finisse par s’ouvrir. Elle entra dans la pièce et observa ce que le boucher avait dû venir lui livrer le matin même. Soudain, elle entendit un léger bruit, une sorte de couinement inquiétant. Scrutant le sol mouillé, Falbala n’aperçut rien. Cependant, le bruit continuait. Elle saisit une chandelle et l’enflamme, puis l’approcha du sol. Elle ne voyait toujours rien, mais sentait bien que le bruit venait d’en dessous du comptoir. Elle dut se résoudre à s’agenouiller, craignant plus que tout de découvrir un gros cafard dégoûtant. Elle posa les genoux au sol, s’accroupit en dessous du comptoir et avança la chandelle. Au lieu de se retrouver nez à nez avec un insecte, un aperçut alors deux gros yeux jaunes qui la fixaient sournoisement.

La jeune fée poussa un cri et recula vivement. Cette bête était hideuse! Mais bon, c’était ce qu’il lui fallait! Cependant, elle devrait user de tout son sang-froid pour en venir à bout! Elle se releva et rechercha aux alentours une arme quelconque. Une vieille massue était accrochée en haut de la porte, en guise de… décoration. Elle s’en saisit, puis décidant d’user de la ruse, déposa un petit morceau de viande au centre de la pièce. Elle se plaça sur le côté, tenant la massue fermement dans ses mains. Après quelques secondes, le petit rat, dont le cerveau ne devait pas être plus gros qu’un pois, sortit et se jeta avidement sur le morceau de viande. Falbala profita de ce moment pour lui asséner un gros coup. L’animal tomba, raide comme une planche. « Je l’ai eu!, pensa Falbala, maintenant il ne me reste qu’à l’apprêter… » Elle saisit l’animal par le bout de sa queue et fila à la cuisine.

En remontant l’escalier, Falbala ne pouvait se résoudre à admettre qu’elle venait d’abattre un animal pour son client. Elle ne pouvait d’ailleurs pas non plus se résoudre au fait qu’un animal traînait dans sa cave! Il faudrait désinfecter le tout de fond en comble! Elle s’empressa de dépecer l’animal, puis se résigna avec dégoût à le servir cru. Elle déposa la viande rouge dans une assiette et se dépêcha d’aller la porter au client qui patientait depuis un bon moment déjà. Pour un plat comme ça, Falbala se sentait d’attaque pour lui faire payer un extra!

« Voilà Monsieur!, dit-elle d’un ton satisfait, je peux vous dire que je suis allée le chercher loin! Désolé pour l’attente! Bon appétit! »

Puis elle s’en alla à une autre table, se disant que pour rien au monde elle ne mangerait cela.

Le reptile jetta un oeil sur le petit être.Il l'avala en intégralité en quelques secondes, puis tomba dans ses songes un instant.
La tavernière semblait un peu écoeurée par le plat qu'elle venait de servir, aussi Rûne espéra pourvoir partir sans ennuis, sans payer bien entendu...Il se leva et ne fit mine de rien...

Il s'approcha de la porte quand il entendit un bruit derrière lui.

-Zut!

Falbala avait observé du coin de l’œil et avec un léger dégoût son client déguster avidement le plat qu’elle était allée lui « chasser ». C’était bien l’un des plus étranges repas que l’on ait jamais servi dans son Café. Pensant non sans une certaine amertume au dicton qui dit que le client est roi, Falbala ne put s’empêcher que c’était d’une criante vérité.

Ainsi, bien que profondément perdue dans ses pensées, Falbala eut très vite conscience que son client semblait tenter de s’esquiver sans payer. Le voyant filer vers la porte à toute allure, Falbala marcha d’un pas rapide vers lui. Se plantant derrière lui, les deux mains sur les hanches, elle dit d’un ton franc : « Je suis désolé Monsieur, mais je crois que vous oubliez un léger détail! Vous devez au moins 15 pupicots pour l’excellent repas que je viens de vous servir! »

Elle resta planté là, entendant que le client récalcitrant lui explique ce qu’il en était.

-Pupicot?Vous connaissez?

En effet, c'était une plante poussant dans les marécages de la Mtenda, ancien lieu de vie du reptile.Il fut ravi qu'on ne lui demande que ça pour son repas.Il glissa sa main dans sa gibecière et en sorti une petite racine noire.

-Ca vous ira tavernière? réplica-t-il d'un ton méprisant.

-Bon je reste gentil, je me controle...ssss...