Faites place aux Diefenbaker

« Le baron de Diefenbaker et son épouse sont attendus dans le bureau d’enregistrement. » Après cette annonce, on aperçut une très vieille et très grande dame se lever du siège sur lequel elle attendait, le dos droit comme un piquet. La grande dame dit d’un ton cassant au gros ange joufflu qui l’accompagnait : « Voyons Oscar, réveillez-vous, nous devons aller mettre en règle nos papiers! »

Elle ajouta à voix basse : « D’ailleurs, je trouve particulièrement dégradant que nous soyons réduits à attendre ici, parmi tous ces réfugiés malpropres. J’aurais cru qu’étant donné les immenses services que tu as rendus à Atlantis, on te réserverait un traitement de choix! Tout cela en plus du fait que nous avons dû déménager nos bagages à nos frais. Je vous le répète Oscar, trois charrettes complètes! Et j’ai même dû abandonner ma collection de menhirs antiques. Réalisez-vous mon cher, le désastre de ce rapatriement? » Sur ces chuchotements peu flatteurs, la dame se redressa de toute sa haute hauteur.

Le baron n’était donc pas levé que déjà son épouse, la dénommée Lady Myrtille Diefenbaker, marchait d’un pas vif vers la petite porte d’entrée du bureau d’un certain Carol T.

Le Baron de Diefenbaker avait fait longue route, en compagnie de sa femme et de son chat Baronnet, sixième du nom. Faisant léviter derrière lui les 3 charrettes de bagages, le vieil homme était épuisé. Par contre, même s’il ne l’avait pas été, il aurait très probablement dormi du même sommeil profond, affalé sur une chaise du bureau d’enregistrement. Rêvant des tables les plus riches en victuailles, le Baron fut réveillé quelques secondes avant qu’on les appelât par son estomac affamé, mais fit tout de même semblant de dormir, sachant que sa femme serait ravie de le réveiller. Comme Sir Oscar s’y attendait, son adorable épouse lui déclara sèchement :

« Voyons Oscar, réveillez-vous, nous devons aller mettre en règle nos papiers! »

Ce à quoi Baronnet, sixième du nom, répondit par un miaulement. Écoutant son épouse, Sir Oscar aquiesça silencieusement au discours, jusqu’à sa fin. Puis, devant la déclaration de Lady Diefenbaker, l’homme corpulent s’empressa de lui répondre :

« Voyons voyons, ma jolie Myrtili! Imaginez la joie de retrouver notre vieille villa! Vos magnifiques menhirs antiques auraient parus bien fades près du mur de pierre ancestral! Mais si vous en voulez toujours, car ils étaient véritablement magnifiques, des jolis petits bijoux, je vous l'accorde, j'en ferai trouver dans la bulle! Et notre petite-fille Lisbeth, n'avez-vous pas hâte de la retrouver?! »

En prononçant le nom de sa bien-aimée petite-fille, Sir Oscar fit un sourire joyeux en tapotant la poche de son chandail, qui était pleine de bonbons, pour ses retrouvailles avec la fillette. Sortant de sa rêverie, Sir Oscar ajouta d’un ton humble :

« Et puis, j’ai fait si peu pour la ville ma chérie! Si peu!»

Malgré que l’ancien conseiller se rappelât les nombreuses fois où il avait sorti du pétrin la ville d’Atlantis en entier, il préférait diminuer ses mérites pour calmer Lady Diefenbaker. Il la regarda un moment. Elle était toujours aussi appréciable, avec son air sérieux et déterminé. D’ailleurs, sitôt avait-il remarquer cela qu’elle était partie précipitamment vers le bureau du fonctionnaire des enregistrements. Frottant son dos courbaturé, Sir Oscar suivit tant bien que mal sa femme, entendant derrière lui les murmures offusqués des autres réfugiés que les valises en lévitation venaient heurter.

Carol T. avait inconsciemment écouté « la voix » appeler ses prochains visiteurs. Ce n’est que lorsqu’il aperçut la grande dame et le gros homme qu’une exclamation étouffé s’échappa de ses lèvres. Les deux personnes qui se tenaient devant lui étaient deux des plus célèbres membres du conseil de l’ancienne époque. Il le leva promptement et tendit sa main comme vers une idole que l’on cherche depuis sa naissance. Puis il bredouilla :

- Bonbonbonbonjoooour monsieur le Maron et Badame.

Consterné par son ridicule bégayement, Carol T. reprit contenance et répéta d’une voix majestueuse :

- Bonjour monsieur le Baron et madame! Contenu de votre statut, il n’est bien sûr pas nécessaire de remplir toute cette paperasse. Hum hum!, il ajouta à cela un clin d ‘œil appuyé.

Puis, réalisant son impolitesse, il déclara prestement :

- J’oubliais! Puis-je vous offrir quelque chose à boire?

Il désigna alors un buffet remplie de bouteille à l’allure miteuse.

Sir Oscar avait pénétré dans le bureau d’enregistrement avec grande peine. En effet, le nombre effarant de valises qu’il faisait léviter derrière lui l’obligeait à s’excuser poliment auprès des réfugiés qu’il froissait constamment. Arrivant finalement près du très peu imposant centaure, le vieil homme sourit bonnement face à son bégayement. En effet, le pauvre homme encombré était arrivé quelques secondes après sa femme qui n’avait aucune gêne à pousser les réfugiés qui se mettaient en travers de son chemin.

Face à la mention de son statut, le baron hocha la tête de gauche à droite pour signaler qu’en fait il avait si peu même s’il savait qu’en réalité la ville d’Atlantis lui devait beaucoup. Il s’apprêtait à remettre en question son apport à la ville, mais la perspective enchanteresse de boire un petit verre après son long périple lui fit ravaler sa modestie. Au moment où il allait accepter avec joie de partager un liquide récupérateur avec le cher Carol T., il croisa le regard de sa femme. Il sut dès lors que le moment n’était pas aux ravitaillements.

Retenant son mouvement pour s’asseoir confortablement, il déclara avec un certain ton de dépit dans la voix :

« Soit! Je crois que malgré que ma femme ait grandement envie de boire un petit quelque chose avec vous, je me dois de refuser. Nous avons des milliers de choses à installer dans la villa. D’ailleurs, nous devons contacter Bertha, notre bonne. Je suppose qu’elle doit déjà être entrain de préparer notre arrivée. L’arrivée de Lady Diefenbaker la stresse quelque peu à ce que j’ai cru comprendre! Hum. Hum. »

Voyant que sa femme avait déjà quitté la pièce sans même avoir prononcé un mot, le baron prit Baronnet 1er sous son bras et l’entraîna à l’extérieur, sans manquer de saluer une dernière fois ce cher Carol T.

« Attendez-moi chère dame! Hum. Hum. »