Vive la concurrence [suite]

Le petit nain ne parlait pas.Il était perdu dans ses pensées, se disant qu'il était un rustre, mais que de toute façon, les gens le méritaient bien.
Arrivé a la taverne de "La hache dorée", il marqua un arret, et se retourna en souriant :

-Et voici le mien, de taudis! clama-t-il fièrement, en montrant d'une main l'enseigne reluisante, et touchant sa barbe de l'autre.

Il était très fier d'avoir creusé lui-même sa taverne a l'intérieur d'un roc...
Gorin sautilla vers la porte, et l'ouvrit en souriant :

-Après vous!

On aurait pu voir la l'atmosphère tamisée de la taverne, qui aurait pu etre un excellent abris pour des amoureux coquins, et qui était aussi un excellent endroit pour les jeux d'argents ou la prostitution la nuit.Mais le nain veillait a bien nettoyer les taches de sang des bagarres noctures, et apaisait l'air ambiant avec un parfum dont la recette est tenue secrète.

Après avoir tranquillement suivi le nain sans dire un seul mot, Romanaëlle arriva devant le commerce de celui-ci. Elle regarda d’un œil surpris la construction à même le roc, qui lui inspirait plus de crainte que d’émerveillement. En jetant un coup d’œil à l’intérieur de la taverne, Romanaëlle n’eut pas de difficulté à s’imaginer ce qui se tramait ici lorsque la soirée était bien avancée. En effet, elle et Falbala avait du lutter contre les jeux d’argent dans leur café, lorsqu’il n’y avait pas de taverne. À bien y penser, le fait d’avoir un endroit mal famé où viendrait les coquins et les êtres non fréquentables pouvait être intéressant. Romanaëlle était étonnée du plaisir et de la fierté évidente que portait le nain à son établissement.

Elle se retint pour ne pas rebrousser chemin tant l’endroit ne lui inspirait rien. Par contre, par politesse pour le nain, elle entra et ne fut pas surprise d’y découvrir une ambiance tamisée, propice aux bagarres. La demie ange regrettait de plus en plus son escapade dans ce milieu, en remarquant dans la rue autour d’elle des gens aux regards louches qui la fixait avec avidité. Elle murmura pour elle-même :

- Et après, il vient traiter le café de taudis!

Puis, haussant le ton, elle s’exclama :

- Je ne crois pas que vous vous soyez présentez.

La question avait été dite sur un ton qui montrait jusqu’à quel point la petite fée n’attachait pas d’importance à la réponse que lui procurerait le nain. S’approchant du comptoir, elle prit place sur un haut tabouret et remarquât avec dégoût quelque chose ressemblant à du sang sur le bord de celui-ci.

-Chuis Gorïn, heureux propriétaire de La Hache dorée!Alors je vous sers quoi madame?

Il avait l'impression que la demi-ange ne se sentait pas dans son élément.Peut-être un peu anxieuse.
Sans attendre la réponse, il attrapa une bouteille posée sur le comptoir, dont il vida une partie du contenu dans un joli verre.

-C'est doux et sucré.Et peu alcoolisé.C'est réservé aux gens bien qui fréquentent ma taverne en journée.

Il dévoila ses dents dans un sourire bienveillant.

En entendant le nom du nain, Romanaëlle hocha simplement la tête. Ainsi ce bougre s’appelait Gorïn. Elle tâcherait de s’en souvenir. Péniblement assise sur son petit banc et essayant d’éviter tout contat avec le sang sur le tabouret, Romanaëlle ne se sentait aucunement à sa place. La petite ange regarda d’un air suspicieux le nain vider un liquide dans une jolie coupe. Elle fit un faible sourire lorsque le nain sembla la classer dans la catégorie : «gens biens». Ainsi, il devait être vrai que la taverne n’était pas fréquentable de nuit. Pendant un moment, Romanaëlle s’imagina toute sorte de sombre scène et en frissonna un moment.

Le sourire bienveillant de Gorïn laissa la jeune femme sur une drôle d’impression. Elle avait toujours en mémoire ses paroles sur le café mais se demandait pourquoi ses manières impolies l’avaient quittées depuis qu’ils étaient dans la taverne. Peut-être ce milieu le transformait-il? Ou peut-être souhaitait-il seulement grossir sa clientèle... En pensant à tout ça, Romanaëlle réalisa qu’elle ne savait pas depuis combien de temps était ouverte la taverne :

- Vous êtes à Atlantis depuis quand?

Le même ton froid qui habitait ses questions précédentes était toujours présent et c'était atténué que très légèrement.

Gorïn était en train d'essuyer des verres derrière son comptoir.Il jetta un oeil rapide a ce qui lui restait d'alcool "Burin bourrin"--J'vais d'voir en r'monter.- quand il aperçu que le tabouret en pierre de Romanaelle était un peu taché.La lueur tamisée des torches ne permettait pas a Gorïn de s'assurer que c'était du sang, mais le cadavre d'un client retrouvé mort la veille, le crane fracassé par un angle de tabouret, le permettait.
Il s'approcha donc de la demi-ange avec un petit torchon humide a la main en vue de nettoyer ça, tout en répondant:

-Ben chuis là depuis cet été quoi.M'a fallu un moment pour creuser tout ça avec mon acolyte.Et vous?Z'êtes la de longue date?

Puis il frotta un peu l'angle du tabouret ou Romanaelle n'était pas assise avec le chiffon. -Chuis désolé, desfois les gens ne savent pas se retenir!

Romanaëlle allait répondre à la question de Gorïn lorsque celui-ci s’approcha avec un chiffon mouillé. Ignorant tout d’abord ses intentions, la jeune fille fut ravie de voir que le nain faisait un peu de ménage. Puis, réalisant qu’il venait nettoyer son tabouret à elle, la demie ange ne put s’empêcher une grimace de dégoût. Comme osait-il venir enlever la saleté sur le banc d’une cliente alors qu’elle était déjà assise sur le tabouret! C’est avant son arrivée que cette saleté aurait dû être enlevée. Ne pouvant s’empêcher une de ces remarques qu’elle avait toujours eut l’habitude de faire lorsqu’elle vivait parmi les fées, Romanaëlle déclara :

-Peut-être que le propriétaire pourrait aussi se retenir d’importuner les clients assis sur ses bancs malpropres.

Puis, sans prendre de pause, Romanaëlle poursuivit en répondant à la précédente question du nain, comme si elle n’avait jamais tenu des propos négatifs sur la taverne :

-Je vois. Il doit en effet être forçant de creuser cet endroit... particulier. Je suis ici depuis presqu’un an maintenant. En somme, je suis relativement nouvelle à Atlantis.

Romanaëlle commençait réellement à être dégoûtée de l’endroit et souhaitait vraiment partir. Malgré que le nain semblait faire des efforts pour être sympathique, Romanaëlle ne pouvait s’empêcher de répugner ce qu’elle considérait comme de la maladresse et de l’indélicatesse.

A la remarque de Romanaelle, le nain se renfrogna un peu.

-C'est pour qu'vous preniez plus de plaisir a boire votre jus que j'fais ca, hein, madame.J'mets l'accent sur la propreté avant tout, mais parfois, ya des trucs qui m'échapp'.

Puis il repartit vers le comptoir pour rincer son chiffon, et bricoler deux-trois choses. -Ouais ca a été dur.Mais j'èspèr' que les gens aiment.Et aimeront.Il regarda Roma avec des yeux ronds en touchant sa barbe, un peu comme un imbécile heureux.Il songeait tout a coup a des tas de choses, ses projets d'agrandissements...

-Et, vous auriez pas envie de bosser ici vous?Sur la terrasse, et faire un peu des sucreries de votre race?

Cette question aurait du être posée avec tact, mais le gros bourrinou barbu ignorait purement et simplement ce mot.

Romanaëlle continuait d’écouter le nain, tranquillement assise sur son tabouret. Malgré elle, la jeune fée était incapable de ressentir de la sympathie pour cet être qui l’avait abordé assez étrangement. Elle l’observa des pieds et la tête et répondit simplement aux espérances du nain par :

- Il serait en effet avantageux pour vous que les gens aiment cet endroit.

Après avoir dit cela, Romanaëlle pensa intérieurement que ce n'était pas son cas. Contrairement à son habitude, la demie fée était restée sur sa première impression de Gorïn et n’arrivait pas à changer d’attitude à son égard. De toute façon, il était clair que très peu d’affinités reliaient les deux êtres, et que la jeune fille préférait de loin la grâce et le calme de sa patronne à la bonhomie grossière du tavernier. Lorsque le nain proposa à Romanaëlle de travailler ici, elle se leva, indignée. Cette fois, s’en était trop. Comment ce nain pouvait-il s’imaginer une seconde qu’elle ait le moindre intérêt pour cet endroit sans charme? Outrée, Romanaëlle répliqua :

- Malheureusement monsieur, je n’ai vraiment aucune envie de venir travailler ici. L’endroit et le propriétaire ne m’intéresse aucunement et je préférerais de loin attendre dans la faillite et la pauvreté la réouverture d’un café digne de ce nom, plutôt que de travailler dans cet endroit minable. Franchement monsieur, votre manque de délicatesse est notable. Après avoir insulté mon établissement vous me proposez de travailler pour le vôtre? Drôle d’idée. N’avez-vous pas peur qu’il devienne dégoutant à mon simple contact? Non franchement, je n’ai aucune envie de travailler ici et de servir quoi que ce soit, ni même de remettre éventuellement les pieds dans cet endroit crasseux.

Tout en restant polie, Romanaëlle avait haussé le ton de manière à ce que n’importe quel client attablé en ce moment n'aurait pas pu ignorer la colère de la serveuse. N’ayant plus rien à ajouter, Romanaëlle tourna les talons vers la porte, toujours fulminante.

Le nain eu juste le temps d'intégrer les paroles de Roma, elle était déjà a la porte. -Comment réagir?
Le chiffon plein de cervelle fut propulsé sur la demi-ange par le bourrinou barbu haineux.Comment a son tour, pouvait-elle insulter la hache dorée ?!

-Et surtout, reviens pas ici!Sinon, je saurai t'accueillir!

Il ouvrit une bouteille et versa un peu d'un liquide noir et épais dans son gosier.Pour oublier son accès de colère.
Le nain se demanda en quoi rémunérer quelqu'un pour un travail pouvait être si insultant...tout simplement parce-qu'il n'était pas délicat.Pour lui, le fait qu'il avait insulté le café de chez Falbala de "taudis" était déjà oublié.Mais pas pour tout le monde.